- L’artiste Tonton David est décédé ce mardi à 53 ans des suites d’un AVC.
- Si Chacun sa route est son plus grand tube, Tonton David ne peut être réduit à ce titre qui a habillé la BO d’Un Indien dans la ville.
- Comment ce pionnier du raggamuffin a ouvert les portes de la chanson française à la musique urbaine ?
Chacun sa route est sans nul doute son plus grand tube. Le titre a habillé la bande originale d’Un Indien dans la ville, une comédie populaire qui a totalisé 7.870.802 entrées lors de sa sortie en salles en 1994. Mais Tonton David, décédé ce mardi à l’âge de 53 ans des suites d’un AVC survenu à sa descente de train à la gare de Metz en milieu de journée dimanche, était bien plus : « Sa voix à fait entrer le reggae dans la culture populaire », a salué sur Twitter Sébastien Lecornu, ministre des Outre-mer. « Le Blues des racailles, toute ma jeunesse », a posté l’acteur Omar Sy. Comment ce pionnier du raggamuffin a ouvert les portes de la chanson française à la musique urbaine ?
« Un pionnier du raggamuffin et du reggae français »
Né en 1967, David Grammont, alias Tonton David, est bercé au rythme particulier du séga réunionnais que joue son père, Ray, musicien de bal et employé de La Poste. Sa famille quitte La Réunion pour s’installer en métropole, et Tonton David grandit à Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne).
L’adolescent découvre le reggae et le monde underground des squats et des sound systems parisiens à la fin des années 1980 : « J’ai vraiment apprécié le délire. Avoir sa propre sono, s’organiser entre nous sans demander de l’aide à personne, avoir un camion, gérer la caisse, faire la promo en indé… J’ai intégré rapidement le High Fight de Polino avec Nuttea et Féfé Typical comme deejays principaux », racontera-t-il quelques années plus tard à Reggae.fr. « C’est un pionnier du raggamuffin et du reggae français », salue Alexandre Grondeau, fondateur du site Reggae.fr et maître de conférences à l’Université Aix-Marseille.
Il prend le micro pour la première fois lors d’une soirée organisée au studio Lasson par les Saï Saï. « Nous et tant d’autres, comme les Saï Saï, on l’a tout de suite adopté. Il a beaucoup traîné et appris à leur contact », résume Papet J, un des MC de Massilia Sound System.
Un jour de janvier 1989, il appelle le Mistral Gagnant, le club stéphanois où se produit Massilia Sound System : « Voilà, j’ai entendu parler de vous et j’aimerais bien vous rencontrer », lance le jeune homme au groupe de reggae marseillais. « Il a pris un train pour Saint-Etienne. On l’a invité sur scène. Il était dans ce que l’on sait faire, le sound system traditionnel, où l’on improvise une version. Ce jour-là, il a amené un truc bien sympathique. C’était une jolie rencontre autour du micro », se souvient Papet J. Il a fait partie de notre parcours, comme nous du sien. C’est ça l’histoire du raggamuffin français »
En 1990, Tonton David pose Peuples du monde sur la première mixtape Rapattitude aux côtés des rappeurs NTM, Assassin, Dee Nasty et des artistes reggae Saï Saï ou encore Daddy Yod. « Rapattitude est un moment clé de la musique urbaine en France, c’est l’affirmation d’un style et la découverte pour l’industrie du disque que les musiques urbaines peuvent vendre beaucoup », commente Alexandre Grondeau. L’album s’écoule à 100.000 exemplaires. « Le titre est sorti en single, et l’a propulsé », résume Papet J. Le clip de Peuples du monde est tourné par Mathieu Kassovitz. Le titre devient un hit, au point d’être parodié par Les Inconnus.
« Le porte-parole artistique des quartiers »
« Avec ce morceau, Tonton David devient le porte-parole artistique des quartiers et des cités en France, et notamment des enfants issus de l’immigration. A l’époque, rap et reggae allaient souvent ensemble, Tonton David a eu un rôle fondamental dans l’affirmation des musiques urbaines dans la chanson française », analyse Alexandre Grondeau.
Pour ce titre, Tonton David emprunte un extrait d’un discours du militant pour l’émancipation des noirs américains, Marcus Garvey, précurseur du panafricanisme. « On ne peut pas faire plus engagé », observe Alexandre Grondeau. « Tonton David était dans cette culture-là et il a émancipé, comme plein d’autres, la parole dans ce pays, comme nos cousins du hip-hop et cela a laissé des traces dans la société », abonde Papet J.
Un engagement politique qu’il ne lâchera pas même lorsqu’il accède au Top 50 avec les tubes Chacun sa route, Ma number One, ou Sûr et Certain. « Un Indien dans la ville, c’est un peu ce que les gens retiennent et c’est normal, mais dans toute sa discographie [9 albums et un album posthume ?], il reste un artiste visionnaire, en termes d’écriture, et avant-gardiste au sens politique du terme », estime Alexandre Grondeau. « Tonton David peut parler de sujets très durs sur des chansons qui sont joyeuses. Son histoire faisait qu’il ne pouvait pas faire autrement », salue Spelim, l’une des figures de la nouvelle génération du reggae français.
« Une figure tutélaire des musiques urbaines »
« Pour moi, c’est un bel exemple à suivre. C’est un peu le grand frère, ou plutôt quelqu’un de la famille qui nous montre le chemin. Il a ouvert beaucoup de portes. Il a permis de faire rentrer le raggamuffin dans les médias nationaux », poursuit l’artiste.
« Je ne connais pas un seul artiste de la nouvelle génération qui ne s’inscrit pas dans cette filiation. Il faut vraiment envisager Tonton David comme une figure tutélaire du mouvement reggae français comme des musiques urbaines », commente Alexandre Grondeau. « Si vous regardez l’histoire du reggae, il y a toujours une grande révérence vis-à-vis des anciens, non pas parce qu’ils sont anciens, mais parce qu’ils ont inventé des choses », analyse Papet J.
« Il tournait avec les meilleurs musiciens reggae de France. En concert, il transpirait la bonne humeur. Il faisait de la musique pour le plaisir et ça se sentait. Il était agréable avec tout le monde et a rendu service à pas mal de monde en venant sur leurs concerts », félicite Spelim. Et d’ajouter : « Tonton David est un bel exemple de personne habitée par sa musique. »
« Tonton David est toujours resté dans sa relation aux autres, assez fidèle à lui-même. Il était adorable et pas vraiment préparé au show-business. Cela n’a pas été simple pour lui d’être là-dedans. Même quand il a connu de grands succès, il restait accessible », se réjouit Alexandre Grondeau. Et de conclure : « En France, il y avait dans les années 1980 une image du reggae, c’était Bob Marley, et ensuite, il y a eu Tonton David. »
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